Jacob JORDAENS (Anvers, 1593 – 1678)

Étude pour la figure de Silène

42,9 x 28,4 cm

Sanguine et rehauts de pierre noire

Provenance :
• Städelsches Kunstinstitut, Frankfurt (L.2356)
• Wilhelm Koller (d.1871), Vienna (L.2632)
• Adalbert, Freiherr von Lanna (1836-1909), Prague (L.2773)
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Max Rooses, Jordaens : sa vie et ses œuvres, Société d’édition Elsévier, Amsterdam, 1906

Représentant de l’art septentrional et plus largement de l’art flamand du XVIIe siècle, Jacob, ou Jacques Jordaens, comme il signait lui-même dans ses lettres , naît et meurt à Anvers. Placé entre les mythiques figures de Pierre Paul Rubens (1577-1640) et celle de Antoine van Dyck (1599-1641), Jordaens jouit lui aussi d’une grande réputation de son vivant. Il est considéré comme un excellent peintre de genre inventif, dont les sujets les plus fameux demeurent Le Roi Boit ! et Les jeunes piallent comme chantent les vieux, qui ne représentent cependant qu’une infime partie de son œuvre puisque l’artiste s’illustre tout aussi bien dans la peinture mythologique. Le nombre considérable de ses dessins préparatoires permirent à l’artiste de donner naissance à de spectaculaires compositions, dont la plupart sont conservées dans des collections publiques à travers le monde. Parmi la multitude de sujets mythologiques, traduisant une consommation régulière de textes d’auteurs antiques, Jordaens s’attache avant tout à représenter le genre humain, traité avec un grand réalisme. Les figures centrales sont systématiquement héroïques.

L’attention est donnée ici à la figure de Silène, vraisemblablement préparatoire à la partie centrale de l’œuvre conservée du tableau attribué à Van Dyck de la National Gallery de Londres (ill. 1). Tout comme dans l’œuvre peinte, le personnage est présenté à mi-corps, de trois quarts, bien que l’on observe quelques variantes dans la représentation du visage.
La mythologie, placée au rang de la peinture d’histoire, tient une place prépondérante dans l’œuvre de Jordaens. L’iconographie de Silène, à laquelle l’artiste consacre par ailleurs plusieurs œuvres (ill. 2), est populaire et très en vogue au cours du XVIIe siècle : le personnage est considéré comme plus grivois et exubérant encore que celle de Bacchus, dieu du vin. Dans la mythologie, Silène est le père adoptif ainsi que le précepteur de Bacchus. Allégorie de l’ivresse et de la démesure, Jordaens le représente sous les traits d’un vieillard nu au ventre bedonnant, ayant probablement perdu ses vêtements durant les festivités, le visage grimaçant portant une volumineuse barbe, les cheveux désordonnés coiffés d’une couronne de pampre de vignes. Ivre et hilare, le personnage instable est soutenu par deux personnages dont on aperçoit un bras à droite de la composition, soutenant sa taille, et dont on devine une épaule à gauche, soutenant son buste.

« Courbet est impressionné par le naturalisme et le rendu sensuel des maîtres flamands du XVIIe siècle tels que Jordaens, notamment dans les nus. »

Les spécialistes de l’artiste ont pu émettre l’hypothèse que les personnages principaux de ses tableaux d’histoire n’étaient autres que des membres de sa famille, de son entourage proche, ou encore l’artiste lui-même, s’époumonant parfois dans une cornemuse (Rubenshuis d’Anvers, inv. VI-05).
Malgré le format de l’œuvre, la figure de Silène est monumentale. Par cette étude, l’artiste s’efforce de reproduire avec une remarquable acuité le réalisme cru et jovial de ce corps dévoilé, de la laideur, de l’ivresse et de la vieillesse par un traitement précis de la peau ridée. La torsion dévoilant la tension de la pose ainsi que le formidable rendu du visage gonflé ainsi que des renflements de sa chair rougeoyante forment une caractéristique de l’œuvre de l’artiste que l’on retrouve dans quelques autres témoignages de l’artiste.
Le traitement du personnage, ainsi que du vêtement, démontrent le travail mené sur la lumière, tombant avec précision entre le ventre et la taille. L’œuvre est suffisamment détaillée pour permettre à Jordaens de laisser la réalisation de la figure finale à l’un de ses assistants, aujourd’hui présenté par la National Gallery comme attribué à son contemporain Van Dyck. En effet, notre dessin correspond à une période très prolifique de l’artiste recevant de nombreuses commandes, pour lesquelles des sujets précis ont pu être définis par le maître et réalisés par son atelier.

Jordaens exécuta ses dessins admirablement bien, et ne perdit point son grand goût de couleur [...] Les dessins de Jordaens sont ordinairement coloriés et sont de vrais tableaux [...] »

L’exécution brillante de notre œuvre laisse peu de place au doute quant à son attribution. Elle atteste des talents de dessinateur de l’artiste qui apporte le plus grand soin à l’exécution de détails grâce à l’utilisation minutieuse de la sanguine dans les traits du visage jusque dans les veines de la main, et de manière plus vigoureuse dans le reste du corps. Jordaens sert son sujet par la densité des chairs en esquissant des hachures et stries à la pierre noire qui apportent instantanément du mouvement et de la puissance à la musculature pourtant molle et flasque du personnage. On peut à ce titre rapprocher notre œuvre de l’étude du musée du Louvre d’une figure de Silène (ill. 3) ainsi que de celle d’un vieil homme conservée à l’Université de Leyde (ill. 4), stylistiquement très proches de notre étude.

La formidable conservation des nombreuses études ont permis de mieux comprendre le processus de création de cet artiste prolifique, parfois évincé par les très riches productions de ses contemporains. Entre Rubens et Van Dyck, Jordaens puise également l’inspiration chez quelques autres fameux artistes de sa génération dont Hendrick van Balen (1575-1632) et Abraham Janssen (1567-1632) avec qui il partagera l’amour de la culture mythologique et plus largement de l’art antique.
Jacob Jordaens ne participe pas au mécénat orchestré par les institutions religieuses à travers les commandes de sujets bibliques. Il trouve une reconnaissance en satisfaisant les demandes de nobles et de bourgeois désireux d’alimenter leurs cabinets de curiosité, témoignage de leur culture et de leur raffinement. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la carrière fructueuse de l’artiste le place sur au premier plan de la scène artistique : en 1659, Jordaens compte parmi les 400 citoyens les plus riches d’Anvers.

M.O

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