Jean-Guillaume MOITTE (Paris, 1746 – 1810)

Portrait d’une jeune fille âgée de douze ans

1777
Pierre noire et estompe en tondo
Diamètre : 15,8 cm
Annoté au dos du carton d’encadrement à la plume : « ... ait par mr moitte sculteur (sic)... âgée de 12 anés 3 mois 1777 »

Provenance :
• Vente du 22 mars 1928, Catalogue des estampes et des dessins principalement de l’école française du XVIIIe siècle composant la collection de M. George Haumont, Paris, Hôtel Drouot, salle n°VIII, sous le numéro 103 « Portrait de fillette représentée à mi-corps, de profil à droite »
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Gisela Gramaccini, Jean-Guillaume Moitte (1746-1810) : Leben und Werk, Akademie Verlag, Berlin, 1933, reproduit p. 187 sous le numéro 87
• Journal inédit de Madame Moitte, femme de Jean-Guillaume Moitte, membre statutaire de l’Académie des beaux-arts, 1805-1807, Paris, Plon, 1932, p. 234.

Fils du peintre et graveur Pierre-Etienne Moitte (1722-1780), Jean-Guillaume est confronté dès son plus jeune âge à l’exercice artistique. Il débute sa formation par l’étude de la sculpture auprès des grands noms français : Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785) puis Jean-Baptiste Lemoyne (1704-1778) et obtient naturellement le premier Prix de Rome en sculpture en 1768. Il entre ainsi à l’École Royale des Élevés protégés et y apprend l’art du dessin sous l’égide du directeur Louis Michel van Loo (1707-1771).
Avant d’être sculpteur, Moitte est un formidable dessinateur. Entraîné par la vague néoclassique dont les origines remontent aux premières fouilles d’Herculanum en 1738, puis celles de Pompéi dix ans plus tard, l’artiste développe un engouement pour les civilisations antiques, contribuant ainsi au renouvellement du prestige italien. Son séjour en Italie lui permet de dessiner d’après nature les bas-reliefs, casques, épées, armures et statuaires antiques en tout genre. Il y révèle son don pour le dessin qu’il perfectionnera durant toute sa carrière.
À son retour en France en 1773, Moitte est rapidement remarqué et rejoint l’atelier de l’orfèvre du roi, Henri Auguste (1759-1816), pour qui il réalise plus de mille dessins. Le dessin occupe ainsi une large place dans sa production dont la majeure partie est consacrée aux études préparatoires pour ses sculptures et projets ornementaux.

Le profil de cette jeune fille, d’un format intimiste, forme une œuvre rare dans le corpus de l’artiste. Ses dimensions restreintes rapprochent l’œuvre de la miniature, dont l’essor est attesté durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’attention et la profusion de détails laissent penser que l’artiste connaissait son modèle. L’épouse de Jean-Guillaume, Marie-Adélaïde (1747-1807), était aussi artiste à ses heures et avait pris l’habitude de portraiturer les profils de leur entourage quotidien (ill. 1), dont des pensionnaires qu’elle cite dans son journal. Sans que l’on puisse identifier les profils dans les dessins, on trouve mention d’une femme de chambre mais aussi d’Augustine Hardier, âgée de 15 ans et de Marianne et Emilie Pibaleau ayant respectivement 11 et 12 ans. La jeune fille de notre dessin pourrait ainsi être l’une d’entre elles. Elle porte un négligé à la mode des casaquins : une petite veste ajustée à manches trois-quarts agrémentées de dentelles qui devait retomber sur ses hanches. Cette veste d’allure presque masculine formait un haut que l’on portait avec une jupe généralement d’une teinte plus claire que la veste.

À travers cette œuvre, l’artiste exprime toute l’ingéniosité de sa main. Contrairement à la première partie du siècle qui favorisait la technique des trois crayons dont la sanguine et les pastels appréciés pour leur apport sensuel, la seconde moitié démontre la large utilisation de la pierre noire dont la préciosité annonce les grands principes du néoclassicisme en vogue. La quête de vérité et de grandeur calme se doit de retranscrire avec justesse le modelé et d’en exalter les formes. N’utilisant qu’un unique médium, l’artiste parvient à rendre d’une part la finesse des traits de ce visage juvénile, et d’autre part la vérité psychologique d’un regard innocent. Une douce lumière vient savamment éclairer le visage et le modelé des chairs rendu par le seul contraste entre l’épaisseur du trait tantôt plus appuyé pour en accentuer le volume et marquer les ombres. La rigueur et la justesse de la technique évoque, tout comme ses dessins préparatoires à la sculpture, l’enseignement des vertus de noble simplicité et de sagesse.

Pris entre deux siècles, Jean-Guillaume Moitte sut s’adapter à tous les régimes politiques. Riche d’une double formation conjuguant le dessin à la sculpture, il s’acquit des droits à la reconnaissance de la monarchie en exécutant le monument funéraire de Louis XV à Saint-Denis. Sous le Directoire, l’éminent artiste est nommé en tant que commissaire chargé de collecter des œuvres d’art en France afin de rejoindre les collections du Louvre.
Ses talents de dessinateur sont mis à profit pour la réalisation de grands décors parisiens tel que le Panthéon pour lequel il exécute le fronton dont le thème dédié à la Patrie couronnant les Vertus civiles et héroïques lui vaut un grand succès, cependant détruit au retour des Bourbons sur le trône de France. Plusieurs statues de grands généraux de l’armée tombés au combat émanent également de sa main : le comte de Custine pour le musée de Versailles, le tombeau du général Desaix au monastère du Grand-Saint-Bernard ainsi que celui de Leclerc, époux de Pauline Bonaparte à la demande de l’Empereur.
M.O

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