Félicien ROPS (Namur, 1833 - Essonnes, 1898)

Le Maillot, dessin préparatoire pour le numéro 77 de la série Les Cent Légers Croquis sans prétention pour réjouir les honnêtes gens

21,8 x 14,9 cm

1878
Pastel, fusain et estompe.

Œuvres en rapport
Félicien Rops, Le Maillot, fusain, aquarelle, crayon, sanguine sur papier, 21 x 15 cm, Allemagne, collection particulière.
Félicien Rops, Le Maillot, lithographie.

The Artist

"Je ne sais, du reste, peindre qu’entièrement d’après nature. Je tâche tout bêtement et tout simplement de rendre ce que je sens avec mes nerfs et ce que je vois avec mes yeux, c’est là toute ma théorie artistique. […] J’ai encore un autre entêtement, c’est celui de vouloir peindre des scènes et des types de ce XIXème siècle, que je trouve très curieux et très intéressant ; les femmes y sont aussi belles qu’à n’importe quelle époque, et les hommes sont toujours les mêmes."
- Félicien Rops à Fortuné Calmels, 1863, cit. Robert Delevoy et al., Félicien Rops, Lausanne, Paris, 1985, p. 109.

Fils unique d’un industriel namurois, Félicien Rops quitta tôt sa ville natale qu’il estimait trop morne et s’installa à Bruxelles alors en proie à une véritable effervescence créative. Bien qu’inscrit en droit à l’Université libre de Bruxelles, il se consacre à l’écriture – il fonde un hebdomadaire artistique et satirique Uylenspigel – et prend des cours de peinture à l’Atelier Saint-Luc, animé par Ernest Slingeneyer et rassemblant des artistes d’avant-garde. Il débute comme caricaturiste, puis entame une carrière d’illustrateur. En Belgique, puis en France où il vit depuis 1874, les écrivains célèbres font appel à lui : son ami Charles De Coster, Jules Barbey d’Aurevilly, Joséphin Péladan, Paul Verlaine, Charles Baudelaire ou Stéphane Mallarmé.

Dès la fin des années 1870, Rops est incontestablement l’un des artistes les plus à la mode à Paris, tout en demeurant inclassable. Peintre à ses heures, virtuose de la gravure, il est avant tout un dessinateur, maîtrisant toutes les techniques, qu’il mélange souvent : crayon, crayons de couleur, pastel, détrempe, estompe et fusain. Il utilise le papier spécial, le papier Pelée, dont il apprécie la capacité à rendre les effets de blanc.

Fasciné par les affres d’une société parisienne qui le séduit par ses extrêmes et dont l’atmosphère lui fournit des « pensées crânes et neuves », il dépeint des scènes de rue, de cirque ou de maison close. C’est pendant cette période d’intense création que l’artiste considère lui-même comme une « mue », cherchant sans cesse à se renouveler, qu’il réalise ses œuvres les plus marquantes. Année phare, 1878 voit naître la Tentation de Saint Antoine, puis la sulfureuse et célèbre Pornokratès que Rops refuse d’exposer jusqu’en 1896 (aquarelle, pastel et rehauts de gouache, 75 x 48 cm, Musée provincial Félicien Rops) et les premiers dessins des Cent Légers Croquis sans prétention pour réjouir les honnêtes gens qui mettent en scène le même « demi-nu moderne ».

Les Cent Légers Croquis...

Ce vaste projet de « comédie humaine et amoureuse », inspiré du théâtre de marionnettes érotique de la rue de la Santé fondé en 1862 et conçu « d’après l’idée simple de Molière, de réjouir les honnêtes gens ». En 1864, Rops avait élaboré un frontispice pour le théâtre dont il reprend les éléments pour celui de ses Cent Croquis. Les dessins sont destinés au bibliophile Jules Noilly : le commanditaire et l’artiste définissent ensemble le principe de « représenter toutes les femmes de l’époque » et « sans préméditation d’œuvre érotique ». Si certaines scènes évoquent le monde rural ou le cirque, la plupart se rapportent, de manière directe ou codée, à la prostitution mettant en évidence l’hypocrisie bourgeoise. Sur un mode anecdotique, chaque dessin élabore sa propre structure narrative, rendue explicite grâce au titre que porte l’image.

En août 1878, Rops écrivit une lettre à Noilly depuis Anseremme où il séjourne à l’auberge « Au Repos des Artistes » : « Les Cent croquis sont entièrement terminés ; ils sont faits. Il ne reste qu’à les parachever et à leur donner le dernier et indispensable coup de crayon de la fin… ». En réalité, l’entreprise n’est pas terminée. Le 12 décembre 1878, le dessinateur écrit à Noilly depuis les environs de Fontainebleau :

« Je vous envoie la liste des dessins déjà faits pour les Cent Croquis… Je vous fais parvenir soixante-dix-sept dessins… En plus le frontispice des Cent croquis et les frontispices des 1er, 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e dizains. Restent donc vingt-trois dessins, plus les frontispices des 8e et 9e dizains, et un dessin de postface. »

Le « Dizième et dernier dizain » – frontispice ouvrant un groupe de dix dessins – intitulé La Cloture date de 1881. En tout, Noilly reçoit cent-treize dessins : les cent croquis proprement dits, deux frontispices généraux, une postface Les Adieux de la folie et dix « dizains ». Le commanditaire y ajoute un dessin représentant l’atelier de Félicien Rops et fait relier l’ensemble en deux volumes sous maroquin rouge. Il fait également graver quatre œuvres, dont Le Maillot, le numéro 77 de la liste de Rops. À la vente de Noilly en 1886, l’ouvrage est adjugé 15 000 francs , puis revendu feuille par feuille. L’aquarelle bleu oxhydrique du Maillot est ainsi séparée du reste de la série. Elle est aujourd’hui conservée dans une collection particulière allemande.

Notre Dessin

La feuille monochrome que nous présentons est le dessin préparatoire au croquis numéro 77, réalisé à la pierre noire et au fusain. La scène se passe dans les coulisses d’un théâtre, thème de prédilection de Rops. Une jeune femme est en train d’enfiler son maillot de corps sous le regard lourd d’un homme d’un certain âge, mais étonnamment coquet. L’actrice porte déjà les ailes de son costume et un serre-tête orné d’antennes : elle figure probablement un papillon de nuit, image qui était alors employée pour désigner les prostituées. C’est l’un de ces « demi-nus modernes » chers à Rops qu’il recherche dans les rues de Paris. Dans une lettre célèbre à Noilly, il écrit :

« je n’était resté à Paris que trois jours pour faire poser une demi-douzaine de petits modèles que l’on ne trouve que là. J’estime que pour les études du nu moderne il ne faut pas faire le nu classique mais bien le nu d’aujourd’hui qui a son caractère particulier et sa forme à lui qui ne ressemble à nulle autre. Il ne faut pas faire le sein de la Vénus de Milo mais le sein de Tata qui est moins beau mais qui est le sein du jour. »

Le tracé rapide et énergique du dessin donne à la scène un aspect instantané et intimiste, tandis que les parties effacées et les corrections permettent de voir le travail de la mise en place et la recherche d’un meilleur effet. Rops fait ainsi se pencher davantage la jeune femme et abaisse la main gauche de l’homme. Il hésite également sur la hauteur du miroir sur le mur qui disparaît dans la version finale. Celle-ci contraste avec l’esquisse par sa clarté et la précision de ses lignes.

Nous remercions les conservateurs du Musée Félicien Rops de Namur d’avoir confirmé l’attribution de notre œuvre.

Bibliographie générale

Bernadette BONNIER (dir.), Le musée provincial Félicien Rops, Bruxelles, Dexia et Fonds Mercator, 2005.
Bernadette BONNIER (dir.), Véronique LEBLANC, Didier PRIOUL et Hélène VEDRINE, Rops suis, aultre ne veulx estre, Bruxelles, Complexes, 1999.
Robert DELEVOY et al., Félicien Rops, Lausanne, Paris, Bibliothèque des Arts, 1985.
Jef MEERT, Félicien Rops. L’œuvre gravé érotique, Anvers, Loempia, 1986.
Thierry ZENO, Les Muses sataniques - Félicien Rops, œuvre graphique et lettres choisies, Bruxelles, Jacques Antoine, 1985.

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