Domenico PIOLA (Gênes 1627 – 1703)

Les pèlerins d’Emmaüs

Plume et lavis brun sur mise en place à la pierre noire

La personnalité de Domenico Piola domine tout l’art génois de la seconde moité duXVIIe siècle.

On peut dire qu’il reçut l’art et la peinture en héritage. Issu d’une grande famille d’artiste, il commença son apprentissage dans l’atelier de Pellegro Piola, son frère aîné. Débutant très jeune avec « Pierre, le Martyre de saint Jacques », peint pour l’oratoire San Giacomo, à Marina di Genova (1647), il manifesta très tôt son affranchissement par rapport à la rigoureuse peinture apprise chez son frère et premier maître. Ses modèles sont les derniers maniéristes lombards, en premier lieu Cerano et Giulio Cesare Procaccini et leur porte‑parole génois, Valerio Castello, auprès duquel il travaillera plus tard. Arrivé à la tête de cet atelier très actif, Piola y employa plusieurs membres de sa famille, notamment ses trois fils, Paolo Gerolamo, Antonio-Maria et Giovanni-Battista, ainsi que ses deux gendres et son beau-frère. Cet atelier familial, appelé Casa Piola, perpétu le véritable esprit baroque jusqu’au XVIIIe siècle.

En 1651, Piola concourut avec Domenico Fiasella pour la décoration de la Chapelle Marini de l’église San Domenico à Gênes, et l’emporta sur son collègue plus âgé. Cette victoire fut significative du changement de goût de la clientèle génoise, désormais indifférente au réalisme des
premières décennies du siècle, et séduite alors par une décoration plus allègre.
Les nouvelles sources d’inspiration du peintre vinrent de Castiglione, de Giovanni Maria Bottalla, suiveur de Pietro da Cortona, et de la vague de Berninisme apportée à Gênes par Pierre Puget, Daniello Solaro et Filippo Parodi. Malheureusement, les oeuvres exécutées par Piola entre 1660 et 1670 sont presque toutes perdues, et nous ne retrouvons l’artiste
qu’en 1668 avec la décoration à fresque de l’église S. Gerolamo et S.Francesco Saverio.

À partir de 1673, son élève Grégorio de Ferrari, revenu de Parme, imprima une nouvelle direction à la peinture génoise ; il se lia aussitôt avec Piola, qui subit l’ascendant intellectuel de son jeune collègue. Une longue période d’activités parallèles et d’échanges continus d’idées s’ouvrit aux deux peintres. Et Piola le suivit sans effort dans son « néo-corrégisme ».
En effet, on vit sa peinture se débarrasser doucement d’un certain caractère monumental et empesé, caractéristique de la production baroque d’inspiration romaine de l’époque.

La décoration du salon du Palais Spinola, avec « Janus remettant les clés de la ville à Jupiter » (c.1660) est un bel exemple de cette période. L’aisance de ses oeuvres plus tardives témoigne d’une évolution vers une peinture plus dynamique et plus ample, avec des fresques comme celles de « l’Automne et l’Hiver » (1687-88) des deux salons du palais Brignole, actuellement Palazzo Rosso.

Notre dessin à la plume et au lavis brun raconte un passage du Nouveau Testament tiré de l’Evangile de Saint Luc (24, 13-35). Thème maintes fois adapté dans l’histoire de l’art, on peut notamment en voir deux versions par Rembrandt et Le Titien au Louvre.
Trois jours après sa Résurrection, Jésus apparaît à deux disciples, Luc et Cléophas, qui le reconnaissent à la fraction du pain, au cours d’un repas pris dans le village d’Emmaüs.

Le visage serein du Christ apparaît encadré par les deux convives, que le peintre a saisis au moment même où ils réalisent qu’ils sont assis à la table du Seigneur. Dans la posture des corps et l’expression des visages, Piola a voulu rendre la fulgurance de
la révélation surnaturelle, tout en plaçant la scène dans le réel, c’est à dire dans une auberge, à l’heure du dîner, quelque part en Palestine, au crépuscule d’un jour de marche.

On peut rapprocher notre beau dessin d’une grande fraîcheur de conservation, de « L’enfant prodigue » conservé au musée des Beaux‑Arts de Quimper, par sa technique virtuose au lavis de brun avec de grande reserves qui redonnent de l’éclat aux chairs.
La fermeté des contours à la plume et le modelé rendu au lavis montrent qu’il s’agit d’une représentation élaborée, prête à être reportée sur la toile.

Nous remercions Madame Newcome d’avoir confirmé l’autenthicité de notre dessin, qu’elle date autour des années 1680 et qu’elle considère comme le meilleur sujet connu à ce jour.

Bibliographie :

• « Le Dessin à Gênes du XVIe au XVIIIe siècle » , 84ème exposition du Cabinet des Dessins, Musée du louvre, 30 mai – 9 septembre 1985, Ed. de la Réunion des musées nationaux.

• « 17th Century Italian Drawings in the Metropolitan Museum of Art » , Jacob Bean, Ed. The Metropolitan Museum of Art, New York, 1979, p. 232-238.

• « Gênes Triomphante, dessins des XVIIe et XVIIIe siècle », Musée Fesch, Ajaccio, 28 octobre 2006-23 fevrier 2007, Gourcuff Gradenigo, 2006, n°160 p. 69.

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