Gustave DORÉ (Strasbourg, 1832 - Paris, 1883)

Paysage d’Écosse sous un ciel d’orage

48 x 75 cm

Circa 1878. Aquarelle et rehauts de blanc sur papier. Signée avec un envoi "A Monsieur E. Richner" en bas à gauche

Provenance
• France, collection particulière

Illustrateur et Peintre
Le nom de Gustave Doré demeure indéfectiblement attaché à ses illustrations : celles de Rabelais (1854) ou des Contes drolatiques de Balzac (1855) furent ses premiers succès. Sa célébrité fut confortée par ses images pour la Bible (1866) ou les Fables de la Fontaine (1867), qui marquèrent des générations d’artistes.

Paradoxe de l’histoire, c’est pourtant comme peintre que Doré eut aimé être reconnu, et à cela qu’il œuvra sa vie durant : « Je suis mon propre rival, je dois effacer et tuer l’illustrateur afin qu’on ne parle de moi que comme peintre », écrivait l’artiste avec une once de dépit. « J’illustre pour payer mes couleurs et mes pinceaux. Mon cœur à toujours été à la peinture. J’ai le sentiment d’être né peintre », poursuivait-il en 1873. En 1851, le peintre effectua une entrée discrète au Salon avec le tableau Pins sauvages. En 1857, il tenta en vain de retenir l’attention avec huit paysages. Peut-être son art était-il trop loin du goût de son temps, encore teinté de romantisme et d’une imagination que lui reprocha Zola : « M. Gustave Doré seul ose encore courir le ridicule de faire des paysages d’imagination ».

La gloire ne manqua pourtant pas à ce génie précoce qui aborda toutes les techniques et tous les sujets, soutenu par une imagination aussi prolixe que sa main fut assurée. Boudé par la France, le peintre Doré trouva en Angleterre, puis plus tard aux Etats-Unis, la reconnaissance qu’il attendait. Il ouvrit à Londres en 1869 la Doré Gallery, dont le succès ne se démentit pas. Là, il exposa ses grands formats à l’huile et déploya les deux thèmes qui lui étaient chers : le paysage et la Bible.

Amoureux des paysages
L’amour de Gustave Doré pour les paysages, et plus précisément les paysages de montagne, remonte d’après ses dires à son enfance alsacienne. Les Alpes ont sa préférence ; il réalisa huit premières vues sur commande en 1853, sans s’y rendre in situ. Ce montagnard aguerri, doté d’une excellente condition physique, y fera par la suite de longs séjours, savourant « cette heureuse disposition de paix et de calme que cette nature majestueuse m’inspire toujours ». La découverte de l’Écosse, en 1873, marque un tournant dans sa carrière. Doré y est invité à une partie de pêche au saumon par le colonel Teesdale, écuyer du Prince de Galles. Troquant très vite la canne à pêche contre les pinceaux, il est saisi par la beauté des lieux. « Désormais, quand je peindrai des paysages, je crois que cinq sur six seront des réminiscences des Highlands, d’Aberdeenshire, de Braemer, de Balmoral ou de Ballater », écrit l’artiste qui rassemble là un nombre incalculable de notes visuelles et de croquis.

« Peintre, fuis l’aquarelle », écrivait son ami le critique Théophile Gautier. Et si la technique n’intéressa guère Gustave Doré dans la première partie de sa carrière, il semble la découvrir en Écosse. Il y emploie un médium pur, dans une facture vive qui n’est pas sans rappeler les grands maîtres anglais que sont Bonington, Cotman, Turner ou Constable.

Notre œuvre
C’est à l’Écosse qu’il faut rattacher notre œuvre, que l’on peut par exemple rapprocher de l’aquarelle conservée au Petit Palais, Paysage montagneux avec cerfs (1873). L’artiste exécuta un grand nombre de vues d’Écosse à son retour en France, à l’image du Paysage d’Écosse du Musée des Beaux-Arts de Caen, daté de 1881. Au regard de son format, notre aquarelle fut ainsi réalisée en atelier, selon l’habitude d’un homme doué d’une incroyable mémoire visuelle. Son motif la relie à une aquarelle passée en vente le 12 mai 1937 (Drouot, salle 7, commissaire Bellier, Expert Mathey, lot 21), laissant penser que Doré put réaliser plusieurs variations d’après un même croquis initial.

Cette œuvre compte peut-être parmi les paysages d’Écosse qui figurèrent au Salon de 1878, ou parmi ceux que Doré présenta en nombre au Salon des aquarellistes français entre 1879 et 1882. A l’instar de Guillaume Dubufe, fondateur de la manifestation, mais aussi de Leloir, Lami, Fortuny ou Detaille aux côtés desquels il exposa, Doré trouva là un lieu adéquat pour faire valoir des travaux réalisés selon une technique encore peu considérée en France.

Gustave Doré déploie ici tout son talent, en laissant agir l’aquarelle sur laquelle il précise ensuite une ombre ou un relief. Sa palette est restreinte, le gris coloré et l’ocre y prédominent, mariés à la terre de Sienne brûlée au premier plan, lavés de brun à l’horizon. Le peintre laisse librement courir l’eau dans un ciel nuageux où pointe l’orage. Il rehausse de vert de vessie la crête d’une colline, joue avec la réserve du papier pour créer des lumières ou suggérer un plan d’eau.

La vue est ici des plus sobres, succession minérale de plans vallonnés et sauvages. Au fil des années, la présence humaine a déserté les paysages de Gustave Doré. Loin d’un Horace Vernet ou d’un Caspar David Friedrich, l’artiste fuit l’anecdote et nous met en présence de la nature, sublime et grandiose, où l’homme n’existe que dans l’humilité. Tel est bien l’esprit de Gustave Doré, qui dédie ici son aquarelle au peintre abbevillois Paul-Ernst Richner (1830-1888).
M.B.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
P. KAENEL, Gustave Doré, l’imaginaire au pouvoir, catalogue d’exposition, musée d’Orsay, Paris, 2014.
Gustave Doré : un peintre né, catalogue d’exposition, Bourg-en-Bresse, Monastère royal de Brou, Paris, Somogy, 2012.
A. RENONCIAT, La vie et l’œuvre de Gustave Doré, Paris, 1983.
H. GURATZCH, Gustave Doré, 1832-1883, Dortmund, 1982.

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