Guido RENI (Bologne, 1575 – 1642)

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste

15 x 14 cm

Circa 1600.
Plume et encre brune, lavis brun et gris, pierre noire.
Monté sur une page d’album avec un encadrement à l’encre rouge et noire, numéro 56 et une annotation manuscrite Caravaccio.

Provenance
· Collection de Philippe V, roi d’Espagne (1683-1746), Escurial (page 56 de l’album numéroté V et autrefois relié de maroquin rouge doré portant les armes royales d’Espagne et de Milan employées par le roi entre 1700 et 1706).
· Probablement les collections des Orléans.
· Vendu seul lors de la dispersion de l’album chez Christie’s, Londres, 22 novembre 1966, partie du lot 126.
· France, collection particulière.

À en croire Carlo Cesare Malvasia, le premier biographe de Guido Reni, l’artiste ne prenait guère soin de ses dessins qui étaient éparpillés dans son atelier et que ses visiteurs avaient l’habitude d’emporter. Malvasia rapporte cependant qu’après la mort de Reni, une grande quantité de croquis fut dispersée par piles entières et que ses feuilles étaient avidement recherchées par les amateurs et acceptées en paiement de dettes. Or, le corpus graphique du maître bolonais s’avère aujourd’hui étonnamment réduit, surtout comparé au nombre de dessins connus de ses contemporains comme Domenichino ou Guercino. Grâce aux travaux des historiens de l’art comme Catherine Johnston, Ann Sutherland Harris ou Nicholas Turner, il a été fort heureusement possible de réattribuer certaines œuvres jusqu’alors anonymes ou données à d’ autres artistes, et de mieux préciser l’évolution de la manière graphique de Reni, facilitant ainsi la redécouverte d’autres dessins et notamment de ses primi pensieri ou « premières pensées » réalisées à la plume et au lavis. Ces idées rapidement couchées sur le papier, ces études sommaires, ces compositions inabouties éminemment personnelles constituent sans doute la partie la plus fascinante de l’œuvre dessiné du Guide.

Avec son trait fin et calligraphique qui précise les détails, son lavis brun posé en larges touches pour indiquer le clair-obscur, notre dessin est caractéristique des œuvres de la première période bolognaise du peintre après sa formation chez Denys Calvaert et Ludovico Carracci et de ses débuts à Rome à partir de 1600 au service du cardinal Scipion Borghèse et du pape Paul V. On retrouve une manière très proche dans la Naissance de la Vierge conservée au Teylers Museum de Haarlem datable de 1600-1601, ainsi que dans la Vierge à l’Enfant adorée par Saint André et une sainte femme (plume et encre brune, lavis brun, sanguine, 21,3 x 15,2 cm) en rapport avec le décor de San Gregorio Magno terminé en 1609 et la Crucifixion (plume et encre brune, lavis brun, 11,7 x 6,4 cm), toutes deux en mains privées.

Notre feuille s’inscrit dans le groupe d’œuvres exécutées autour de 1600 et ayant pour sujet la Sainte Famille et plus précisément dans la réflexion de l’artiste sur la Vierge à l’Enfant avec saint Jean Baptiste enfant, montrant Saint Jean qui s’incline pour embrasser le pied du Christ qui le bénit en retour. Il s’agit tout d’abord de l’eau-forte gravée vers 1600. Dans le même sens que notre dessin, l’estampe remplace l’arrière-plan architecturé par des nuées et élargit le cadrage pour accueillir Saint Joseph, Sainte Élisabeth et deux angelots. Si la pose de la Vierge diffère, celles des deux enfants sont presque identiques. On y retrouve surtout la table en bois recouverte d’un tapis sur laquelle Jésus est assis.

Le thème fut également développé par Reni dans plusieurs peintures connues par les gravures, ainsi que le petit cuivre offert par l’artiste au pape Paul V vers 1606-1607. Cette fois, Marie tient son fils sur les genoux et Saint Jean est accompagné d’un agneau semblable à celui de notre dessin : à l’encre noire et au lavis gris, il est manifestement rajouté postérieurement à la réalisation du croquis et en même temps que l’ombre portée de la croix du Baptiste et quelques touches de lavis gris dans la figure de la Vierge. L’artiste semble se ressouvenir de notre composition aussi tardivement que dans les années 1640 : sa grande Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste conservée au J. Paul Getty Museum reprend ainsi l’organisation pyramidale du groupe de personnages, le drapé et l’idée d’un intérieur sombre s’ouvrant à droite sur la figure de Joseph.

Notre feuille apparaît ainsi comme un apport important à l’œuvre de Guido Reni et l’une des premières réflexions sur un thème qu’il n’eut de cesse de développer. C’est également un témoignage précieux de son talent graphique, de la virtuosité de sa ligne, vibrante et vigoureuse, de son sens aigu des effets de lumière. Aussi, il n’hésite pas à plonger dans l’ombre les visages de Marie et de Jésus et d’éclairer la table, le sol et l’extérieur pour créer une atmosphère dramatique empreinte de mystère religieux.
A.Z.

Nous remercions M. Nicholas Turner, ancien conservateur au Department of Prints and Drawings du British Museum et au J. Paul Getty Museum, d’avoir confirmé l’authenticité de notre œuvre après un examen de visu.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Ann SUTHERLAND HARRIS, « Guido Reni’s First Thoughts », Master Drawings, vol. 37, no 1, 1999, p. 3-34.
Catherine JOHNSTON, Guido Reni. Zeichnungen, cat. exp. Vienne, Albertina, 1981 (cat. 8).

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