1722
Pastel sur papier marouflé sur toile
79 x 64 cm
Provenance :
· Jean-François Guillieaumon (1672-1758), Paris.
· Son inventaire après décès, 25 mai 1759, cité avec quatre autres pastels de la famille.
· Collection comte et comtesse de Ribes depuis au moins 19641.
Au Salon de 1699, le sculpteur et peintre Florent Le Comte admira le portrait de Jules-Hardouin Mansart gravé par Edelinck d’après un pastel de Joseph Vivien. Aussi, lorsqu’il prit sa plume pour décrire les oeuvres vues, il crut nécessaire de s’arrêter longuement sur le portraitiste :
« Il faut que je m’écarte encore une fois pour vous marquer jusques à quel degré Monsieur Vivien a poussé la Peinture au Pastel, dans les grands sujets de Portraits historiez qu’il peint journellement de cette manière, dans laquelle il nous fait découvrir la même grâce, la même force, la même naïveté & délicatesse que l’on trouve dans les Ouvrages à l’huile de nos grands Maîtres ; & l’on pourroit dire que la France peut se vanter d’avoir en luy le Vandick du siècle pour le Pastel. Mais d’où croyez-vous qu’il ait tiré ses principes ? Il les a tirez de la Peinture à l’huile, son May de l’année 1698, & un autre Tableau de douze pieds ou environ de large sur dix de haut, représentant la famille de Monsieur de Rhode, nous en font des preuves convaincantes. Mais pour ne parler que de son Pastel, les Portraits qu’il a été faire à Bruxelles pour son Altesse Électorale de Bavière, & dont le succez luy a merité tous les honneurs imaginables : ce Prince pour conserver son Portrait ayant eu soin de le faire couvrir d’une glace de 48 pouces de haut, a voulu même que ce Peintre se peignit luy-même pour envoyer ce Portrait au Grand Duc de Toscane comme un nouvel ornement de sa Gallerie où tous les Illustres trouvent place2. »
En quelques mots, Le Comte parvint à résumer ce qui fait l’originalité du talent de Vivien, à savoir sa formation de peintre d’histoire et la qualité de ses pastels capables de rivaliser avec l’huile dans le rendu des matières et la transcription des ombres et des lumières.
Né à Lyon, Vivien fut très jeune envoyé dans la capitale par son père qui avait remarqué ses dons pour la peinture. Il étudia à l’Académie auprès de François Bonnemer et obtint le second prix de Rome en 1678 avec L’Expulsion d’Adam et Ève. Des sources manquent pour retracer sa carrière, mais il semble avoir travaillé avec Charles Le Brun et fut suffisamment bien établi et célèbre pour que la corporation des orfèvres de Paris lui commande en 1697 un May qui reste à identifier.
À cette époque, l’artiste s’était pourtant déjà tourné vers le portrait et plus spécialement le portrait au pastel, technique difficile et peu pratiquée depuis la disparition de Robert Nanteuil en 1678. Bientôt, sa maîtrise du médium fut telle qu’il lui devint possible de peindre les modèles de face, de rendre toute la subtilité des chairs et des étoffes, mais également de créer des portraits grandeur nature et en pied. Sa renommée de « peintre en portraicts de pastèle » allant croissant, Vivien fut sollicité dès 1696 par les Bâtiments du roi – on ignore la nature exacte de la commande – et dès 1698 par le duc électeur Maximilien Emmanuel de Bavière, gouverneur des Pays-Bas Espagnols qui manda le pastelliste à Bruxelles et en fit son portraitiste officiel.
Agréé à l’Académie en 1698 et reçu trois ans plus tard sur présentation des portraits de Girardon et de Robert de Cotte. La livraison des oeuvres demandées par les académiciens fut retardée par la quantité de demandes que recevait de toute part, dont celle, en 1699, de peindre les portraits du Grand Dauphin, beau-frère du duc de Bavière, et de sa famille (ill. 2). Au Salon de 1704, Vivien présenta pas moins de vingt-quatre pastels, dont ceux, spectaculaires, de l’électeur et de sa favorite, mais aussi ceux, plus modestes, de ses confrères artistes et de leurs épouses.
Réalisé en 1722, notre belle oeuvre fait partie de ces portraits des proches de l’artiste qui préféraient des mises libres et élégantes aux perruques volumineuses et armures rutilantes. Souvent en pendant, ces portraits étaient à la fois intimes et officiels, d’autant plus que certains étaient diffusés par la gravure. C’est justement l’un des graveurs réguliers de Vivien, Nicolas Edelinck, qui fait le lien entre le modèle de notre pastel et l’artiste. Il s’agit de Madeleine-Geneviève Dupuis qui épousa Jean-François Guillieaumon, maître tapissier de la ville de Paris, du clergé de France et de l’Université, établi rue Saint-Jacques. Fille de Marie Mariette (grand-tante du collectionneur Pierre-Jean Mariette), elle était la soeur de Grégoire Dupuis, marchand libraire, qui s’unit à Marie-Madeleine-Geneviève Edelinck, soeur du graveur. La mère de Madeleine-Geneviève Dupuis se remaria avec le libraire Antoine Dezallier : le célèbre amateur, avocat Antoine-Joseph Dezallier, était leur fils et donc le demi-frère de notre modèle.
Vivien offrit aux Guillieaumon une représentation d’un rare raffinement. Tous deux paraissent en habits d’intérieur, mais arrangés de manière à rappeler les tenues antiques ou orientales. L’homme, sans perruque, sa chemise et sa veste déboutonnées, se drape de velours rouge feu, assorti à son bonnet au revers de soie noire brodée d’or. La toilette de la dame montre plus de retenue : une robe ample de soie blanche est agrémentée d’une étoffe bleu céleste légère. Ses cheveux, bouclés et poudrés, sont recouverts d’un gracieux bonnet de soie bleue à
2 Florent Le Comte, Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture & graveure, vol. III, Paris, Picart et Le Clerc, 1699, « Description des peintures, sculptures, & estampes exposez dans la grande Gallerie du Louvre dans le mois de Septembre 1699 », p. 266-267.
motifs de fleurs garni de dentelle. Chez l’homme, tout est fougue, énergie, tonalités chaudes. Chez son épouse, règnent les couleurs froides, la lumière claire, la sérénité et la distinction. Elle fixe le spectateur d’un regard un peu songeur et paraît plus réservée que lointaine.
L’intensité psychologique de notre pastel se double d’un rendu virtuose, emblématique de la manière de Vivien qui n’avait de cesse de vouloir dépasser la peinture. Le rendu rutilant des tissus obtenu en estompant délicatement la poudre, la transparence des couches de matière travaillée comme des glacis, le velouté des carnations, la fraîcheur des couleurs dans une harmonie bleu-ocre : tout concorde pour conférer au modèle une prestance et une fascinante présence qui font de cette oeuvre l’un des plus beaux et élégants portraits féminins de l’artiste.
A.Z.