Charles-Alphonse DU FRESNOY (Paris, 1611 - Villiers-le-Bel, 1668)

Allégorie de la Foi

69 x 87 cm

Circa 1660
Huile sur toile

Provenance
· France, collection particulière

L’artiste
Charles-Alphonse Dufresnoy ou Du Fresnoy est davantage connu pour ses écrits théoriques et ses relevés de mesures d’antiques que pour ses tableaux, encore peu étudiés. Fils d’apothicaire, il avait abandonné ses études de médecine pour se consacrer à ses deux passions, la poésie et la peinture. Élève d’abord de François Perrier, il entra ensuite dans l’atelier de Simon Vouet, où il se lia d’amitié avec Pierre Mignard : leur relation dura jusqu’à la mort de l’artiste.

En 1634, Dufresnoy se rendit en Italie où il resta vingt ans, rejoint dès 1636 par Mignard. « Ces deux amis ne se quittoient jamais, et c’est pourquoi on les appeloit dans Rome les inséparables », se souvenait Félibien qui avait connu les deux artistes en Italie . Mignard et Dufresnoy habitaient le même logement, fréquentaient ensemble les académies pour dessiner d’après le modèle et copiaient les mêmes œuvres de Raphaël. Tous deux avaient une estime particulière pour les œuvres de Titien conservées dans la ville pontificale et pour les antiques.

L’esprit vif et érudit de Dufresnoy le porta toutefois d’abord vers Poussin dont il admirait l’étendue des connaissances et le sens de composition jusqu’à, dans ses dessins, vouloir en approcher la manière. Certaines de ses peintures d’époque romaine découlent directement des croquis du maître et furent gravées sous le nom de Poussin. Ce n’est que récemment que Jacques Thuillier, Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat réussirent à isoler, dans la masse d’œuvres graphiques attribuées à Poussin, les dessins de Dufresnoy. De techniques variées, ses rapides esquisses affirment son goût de la poésie et de la fable par un graphisme élégant et relâché. Elles témoignent également d’un tempérament délicat, perpétuellement insatisfait et préparant ses tableaux par de multiples recherches. À la période italienne de l’artiste appartiennent également deux peintures signées et datées de 1647, L’arrivée de Vénus à Cythère et La Teinture de la Rose ou Vénus aux Amours, conservées autrefois à Sans-Souci à Potsdam. Or, si elles doivent beaucoup à Poussin, ces toiles sont d’un raffinement et d’un classicisme qui évoque l’Albane.

Après un séjour à Venise et un passage à Bologne, Dufresnoy regagna Paris en 1656 et reçut ses premières commandes, dont plusieurs peintures pour le château de Raincy construit par Jacques Bordier, intendant des finances de la régente Anne d’Autriche. Sa Sainte Marguerite datée de 1656, peinte pour l’église homonyme à Paris marque l’éloignement des modèles poussinesques (Évreux, musée des Beaux-Arts). L’artiste y réinterprète la Sainte Marguerite de Raphaël (Paris, musée du Louvre) dans un style qui doit autant au Dominiquin qu’à Mignard. Celui-ci revint en France en 1658 et associa Dufresnoy à certains grands décors, dont la Coupole du Val-de-Grâce, sans qu’il soit possible de définir l’ampleur de leur collaboration. Prétextant la commande du Val-de-Grâce, les deux amis signifièrent, dans une lettre adressée à Le Brun en 1663, leur refus de prendre une charge à l’Académie royale de peinture et de sculpture.

Se situant délibérément en dehors des cercles de l’Académie, Dufresnoy se lia d’amitié avec Molière et surtout avec Roger De Piles. C’est surtout en tant que théoricien d’art qu’il s’imposa dans le milieu artistique parisien, notamment grâce à son poème latin de cinq cent quarante-neuf vers intitulé De arte graphica. Écrit à partir de 1640-1645 alors que l’artiste était encore à Rome, il fut publié l’année de sa mort en peu d’exemplaires par Mignard. La même année parut sa traduction en français par Roger De Piles augmentée de commentaires et d’un autre texte de Dufresnoy, les Sentiments sur les Ouvrages des principaux & meilleurs Peintres des derniers Siecles.

L’œuvre peint de Dufresnoy fut reconstitué par Jacques Thuillier et surtout Sylvain Laveissière qui attribua à l’artiste, en comptant les versions autographes, plus de vingt tableaux, dont les trois déjà cités et les seuls signés. Quelques autres peintures sont venues depuis augmenter ce corpus réduit, mais néanmoins représentatif, puisque Dufresnoy, exigeant et perfectionniste, peignait peu et lentement. Roger de Piles estimait à une cinquantaine seulement le nombre de ses « tableaux d’histoires » :

« Le tems qu’il donnoit à la lecture & à parler de Peinture aux gens d’Esprit qu’il trouvoit disposez à l’entendre, luy en laissoit peu pour travailler ; il paroissoit d’ailleurs qu’il avoit de la peine à peindre, soit que sa profonde Théorie lui retînt la main, ou que n’ayant appris de personne à manier le Pinceau, il eût contracté une manière peu expéditive . »

Dufresnoy, Ripa et notre allégorie
Notre peinture suit la redécouverte d’une première toile allégorique de Dufresnoy, Allégorie de la peinture, entrée en 2006 au musée de Dijon, et représentant une jeune femme en train de peindre un génie ailé. L’un de ses tableaux connus les plus ambitieux, l’Allégorie de la peinture surprend par son iconographie raffinée, entièrement affranchie de la tutelle de Cesare Ripa, dont la célèbre Iconologie, publiée à Rome en 1593 et moult fois rééditée, fut très suivie au XVIIe siècle et tout particulièrement en France.

C’est la même invention savante qui caractérise notre toile, d’une complexité encore supérieure, donnant pleinement raison à Roger de Piles lorsqu’il disait que son ami avait l’esprit et la mémoire remplis d’un « grand nombre de connoissances » et que sa conversation était « pleine de disgressions ». Les trois protagonistes de notre peinture résistent à toute tentative d’interprétation à l’aide de l’Iconologie de Ripa, tellement leurs attributs sont nombreux. La jeune femme impérieuse à demi nue drapée de blanc et tenant de sa main le soleil est assurément la Vérité, mais son astre brillant comporte un mot en hébreu : la religion ou la foi (דתה). Ce mot détermine l’angle sous lequel il convient d’interpréter la composition de Dufresnoy.

Aux côtés de la Vérité se tient une Minerve ou Pallas casquée, symbole de la Sagesse et de la Raison, tandis que le serpent qui s’enroule autour de son bras gauche est l’attribut le plus parlant de la Prudence. Sous le trône de la Vérité se tapit un vieillard à queue de poisson qui ne peut être Triton, mais plutôt le Mensonge, bien que chez Ripa il soit doté de deux queues de serpents enlacées. L’artiste voulait sans doute éviter toute confusion avec le serpent de Minerve. À la place des autres attributs du Mensonge (bouquet de fleurs avec une couleuvre et hameçons), l’artiste représente un masque tombé par terre et le flambeau ardent et fumant. Celui-ci, chez Ripa, est l’un des attributs de la Calomnie, de la Discorde et de l’Impiété, les vices combattus par la Foi : la Verité pose d’ailleurs son pied sur le monstre, prête à l’écraser.

Se penchant vers elle, Minerve indique de sa main un enfant qui attend au pied de l’estrade. La déesse de la Sagesse semble vouloir le confier à la Foi. Le garçon met l’index sur ses lèvres : geste du silence, signum harpocraticum, il rappelle que seul le silence permet de dévoiler les mystères inaccessibles par la connaissance. L’enfant presque nu reprend très exactement l’iconographie et la pose d’Harpocrate dans la statuaire antique que Dufresnoy connaissait parfaitement. Quant au poisson tenu dans la main gauche, c’est, dans l’Iconologie, l’attribut de la Force d’Amour et de la Pénitence. On trouve également, chez Ripa, une allégorie de la Vita breve qui tient un poisson séché. Le sablier paraît avoir la même signification : le sable est entièrement écoulé. Enfin, le poisson a également une forte connotation christique : le temps consumé annoncerait l’heure du Jugement.

Cette savante peinture allégorique est servie par une organisation tout aussi recherchée de l’espace, délimité par les marches de pierre, un piédestal vide à gauche, un rideau rouge et un parapet derrière lequel s’ouvre un paysage vaste et magistral. La distribution des personnages en diagonale souple est équilibrée. Les regards et les gestes les relient les uns aux autres, tandis que les yeux de l’enfant interpellent le spectateur. L’artiste combine admirablement la rigueur de Poussin, la délicatesse de l’Albane, la gravité de l’atticisme parisien de La Hyre et le raffinement de Mignard. La douceur qui émane de la figure du jeune garçon ou les accents clairs sur les doigts qui se prolongent sur le dos de la main sont cependant des traits propres à Dufresnoy. La Vérité a les formes gracieuses de la déesse de l’amour dans Vénus à Cythère et le profil grec parfait de la servante dans L’Enlèvement d’Europe (Lille, Palais des Beaux-Arts), bien qu’une restauration ancienne avait quelque peu altéré la couche picturale à cet endroit.

La matière picturale est très variée, allant d’une facture lisse dans les carnations aux contours estompés et les détails architecturaux à des empâtements discrets de peinture claire dans les reflets de lumière, en passant par une touche large et visible pour les plis ronds des drapés qui se cassent en souplesse. La vibration des coloris aux accords chauds rehaussés par l’éclat de notes plus vives – ocre jaune, bleu lapis, rouge cramoisi –, la lueur du soleil qui caresse les chairs et se mire dans les tissus et la chevelure de la Vérité, le rendu attentif des détails, sont autant d’éléments qui révèlent la délicatesse d’un peintre à la fois savant et sensible.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Jacques THUILLIER, « Propositions pour : II. Charles-Alphonse Du Fresnoy, peintre », Revue de l’Art, no 61, 1983, p. 29-52.
Jacques THUILLIER, « À propos de Charles-Alphonse Du Fresnoy : du “Maître de Stockholm” au “Maître de Cassel », Revue de l’Art, no 111, 1996, p. 51-65.
Sylvain LAVEISSIERE, « Les tableaux d’histoires retrouvés de Charles-Alphonse Du Fresnoy », Revue de l’Art, no 112, 1996, p. 38-58.
Sylvain LAVEISSIERE, « Un alter ego de Mignard : le peintre Charles-Alphonse Dufresnoy (1611-1668) », dans J.-C. Boyer (dir.), Pierre Mignard « le Romain », actes du colloque, Paris, 1997, p. 93-115.
Sylvain LAVEISSIERE, « Dufresnoy (Charles-Alphonse) », Saur, Allgemeines Kunstlerlexikon, t. XXX, Munich-Leipzig, 2001, p. 375-378.

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