Marcel DELMOTTE (1901-1984)

Au seuil de l’ère nouvelle

70 x 90 cm

Huile et encre de chine sur panneau d’isorel

Signé et daté en bas à gauche "M. Delmotte 1966."
Signé également au dos, et titré "Au seuil de l’ère nouvelle"

Dimensions : 70 x 90 cm.

"L’art est un rêve éveillé. C’est aussi un réalisme magique."
Marcel Delmotte, 1969.

Fils d’un maître verrier, peintre en bâtiment dans sa jeunesse – spécialiste notamment du marbre veiné –, Marcel Delmotte ne fréquenta aucune école d’art théorique, demeurant toute sa vie profondément attaché à la perfection technique du métier. Artiste inclassable, il bâtit un monde imaginaire et visionnaire, éminemment signifiant et poétique, qui se dévoile dans des paysages lunaires, dévastés, remplis de ruines et d’arbres desséchés et peuplés des figures allégoriques à l’anatomie sculpturale et hors d’échelle. Les peintures de Delmotte interrogent l’harmonie, le mécanisme des choses, la destinée humaine, le progrès, la civilisation, la raison, tout en soumettant l’ensemble à une volonté esthétique personnelle et originale, nourrie des héritages des maîtres anciens plutôt que des émulations des contemporains surréalistes ou métaphysiques. Dans les paysages hallucinés de l’artiste se devinent les grues, les usines et les constructions industrielles de son pays minier natal, mais aussi des cavernes volcaniques et des abîmes dantesques, des palais baroques effondrés, des colonnes antiques, des gouffres qui émettent des vapeurs délétères, des labyrinthes inextricables, des sols carrelés des maîtres du Siècle d’Or, des formes végétales ou humaines qui s’enchevêtrent, s’imbriquent, se métamorphosent. Les titres originaux que Delmotte donne à ses œuvres n’offrent aucune clé à leur compréhension, mais participent à créer une scénographie ou, plus exactement, un microcosme régi par ses propres lois qui s’offre au spectateur tout entier, à charge pour chacun d’en trouver sa propre lecture. Il arrivait d’ailleurs à l’artiste de reprendre certains titres pour des compositions radicalement différentes. Le tableau que nous présentons porte ainsi le même intitulé que celui peint trois ans plus tard et présenté la même année à l’exposition monographique L’Humanité en marche à la Galerie Brachot (collection particulière). Sur fond rouge sang, il figure un homme nu assis au bord d’un précipice, la main sur son visage, tel un Prométhée des temps modernes : « l’homme se demande où il va, car la science est une arme à double tranchant » (Delmotte).
Beaucoup plus complexe et polysémique, notre panneau détonne surtout dans l’œuvre de Delmotte, merveilleux coloriste, par sa monochromie assumée qui contraste même avec ses tableaux où une seule tonalité prédomine, à l’instar de la Composition abstraite de 1953. Ici, c’est un immense dessin à l’encre de chine telle la réminiscence des marines « à la manière de gravure » de Willem Van de Velde, ou bien une photographie noir et blanc d’un journal transfigurée. L’espace est convexe et élastique, chargé de figures et de formes ductiles, aux contours indéfinis et qui s’enroulent autour d’une créature chimérique au visage angélique d’une jeune fille – l’unique visage du tableau – et dos tatoué de corps emmêlés. De ce tourbillon rythmé émerge un combat – sinon un ballet – entre la lumière et les ténèbres ou le néant, entre la beauté et la laideur des monstres dignes de Hieronymus Bosch, entre les courbes et les droites, la matité et la brillance des matières. Les crêtes des montagnes deviennent des vagues, les châteaux se fondent dans un brouillard, les lignes se croisent formant tantôt des poteaux électriques, tantôt des mâts des voiliers.
Le souvenir de Guernica de Picasso fait ici écho à la lente disparition de l’industrie minière à Charleroi, à l’avancée des machines, au déséquilibre entre la puissance matérielle décuplée et la qualité spirituelle, aux turpitudes de la guerre froide, mais le tout reste soumis à un ordre implacable des formes et investi d’un espoir et d’humanisme (voire humanité) qui constituent l’essence de l’art de Delmotte. Le peintre se pose en démiurge, faisant surgir les motifs de la matière qu’il maîtrise et soumet grâce à l’emploi virtuose des glacis qui confèrent à l’huile le poli, l’éclat et la transparence de l’émail ou de la laque. « La technique est liée à la sensation. L’outil est forgé par elle et, dès que l’artiste le touche et se manifeste tout entier dans la moindre parcelle de son ouvrage, la technique devance le raisonnement et lui ouvre des horizons dont il n’avait jamais soupçonné l’existence », écrivait Delmotte. C’est pour donner toute la puissance à cette touche lisse, brillante et miroitante que l’artiste préférait les supports durs, comme, ici, le bois préparé, et les dimensions monumentales.

A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Waldemar GEORGE, Le monde imaginaire de Marcel Delmotte, Paris, éd. Max Fourny, 1969.

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