Jean-François PORTAELS (Vilvorde,Belgique 1818 – Schaerbeek 1895)

FANTAISIE HONGROISE

120 x 90 cm

Circa 1865.
Huile sur toile.
Signé et situé en bas à gauche J. Portaels Hongrie.

Provenance :
Belgique, collection particulière

Parmi ses nombreux voyages, la Hongrie fut l’un des pays de prédilection du peintre belge Jean-François Portaels (Vilvorde, 1818 – Bruxelles, 1895), pour le côté exotique et pittoresque qu’il y trouvait, au cœur même de l’Europe. Il y a séjourné en 1860 et en 1865. Quelques lettres, diverses notes dans des carnets, ainsi que plusieurs dessins et tableaux nous renseignent sur les attraits de ce pays qui l’intriguait et le fascinait en même temps. Il y a d’abord les campements et le mode de vie des bohémiens dispersés dans la Grande Plaine hongroise, Grand Alföld, qui pourraient faire l’objet d’une étude en soi, ensuite le théâtre de Temesvar (Timișoara, Roumanie), la musique et l’opéra de Budapest, ville dont il fut nommé membre correspondant de l’Académie des beaux-arts, et enfin les costumes traditionnels des Hongroises.

On connaît la passion de Portaels pour les costumes régionaux, découverts durant ses voyages en Suisse, en Italie, au Moyen Orient, en Espagne ou au Maroc, mais aussi en Bretagne et en Hollande. Partout où il voyagea, il dessina, et parfois acheta, des vêtements traditionnels et des bijoux, et il n’est pas rare qu’il en parle dans sa correspondance. Or, la Hongrie, plus précisément la Transylvanie, région partagée aujourd’hui entre la Hongrie et la Roumanie, est connue pour la richesse et la variété de ses costumes régionaux , dont certains aspects ne sont pas sans évoquer le monde ottoman qui, durant des siècles, avait une frontière commune avec cette région.

Nous savons par sa correspondance que Portaels a réalisé deux voyages en Hongrie. Le premier en septembre 1860, en compagnie de son ami et conseillé du jeune duc de Brabant, le futur roi Léopold II, Jules Devaux (Bruges, 1828 - Axenstein, en Suisse, 1886) . Dès leur arrivée en Hongrie, le samedi 22 septembre, Portaels écrit à ses beaux-parents, le peintre François-Joseph Navez et son épouse Flore de Lathuy : « Me voici en pleine Hongrie au milieu d’un peuple de pasteurs. Le pays ne semble qu’un immense paturage [sic] couvert de beaux troupeaux de chevaux, de Bœufs [sic], de moutons. ». Après avoir reçu l’hospitalité du propriétaire «  d’une pousta, ainsi se nomme une ferme ou exploitation », le peintre et son compagnon de voyage se rendent à Kecskemét, « une véritable ville d’agriculteurs, des rues larges mais non pavées  ». Dans la même lettre, il explique qu’il se rendra le mercredi à Gratz (Graz, Autiche), pour honorer un rendez-vous très important avec « l’auguste personnage  ». Il reste discret sur l’identité de ce dernier, car il s’agit très probablement du prince Auguste de Saxe-Cobourg-Gotha (Vienne, 1818 – Ebenthal, 1881) . Il précise dans sa lettre « que cette affaire reste entre nous, il y a déjà assez de jalousies de la part de mes chers collègues  ». C’est très certainement grâce à Jules Devaux que Portaels a obtenu cette rencontre princière, « qui s’est bien passée, mais je dois prendre des sujets qui m’ont été indiqués et ayant rapport à des mœurs locales. Ce sera intéressant à faire. Je suis très satisfait . »

De Graz, les deux amis poursuivent le voyage, à Pragerhof (Pragersko, Slovénie), à travers l’Esclavonie (Slovénie), pour arriver le 27 septembre à Kanitza (Nagykanizsa, Hongrie), ainsi qu’il l’écrit à sa mère « Si la couleur locale est intéressante, il faut avouer qu’il fait bien sâle [sic] ici et les petites bêtes de ma connaissance m’ont fait une si aimable visite cette nuit que je n’ai pu dormir. Je me suis levé au milieu d’un orage magnifique, pour mettre un peu d’ordre à mes croquis. Nous ne sommes qu’à dix lieues du lac Balaton  ». Il termine sa lettre comme son voyage en écrivant « Rarement je me suis mieux porté (...). Ici, je vois la nature, j’ai du bonheur à l’observer. Ces mœurs que je ne connaissais pas, ces allures nouvelles, ce peuple Hongrois dont j’avais tant lu, puis un certain air primitif, tout m’intéresse et j’ai fait ample moisson de croquis .  ». Moins d’une année plus tard, en février 1861, Portaels se rend en visite chez le roi Guillaume III d’Orange-Nassau, aux Pays-Bas, lequel a fait demander, par l’intermédiaire d’Henri Dumonceau, que Portaels « apporte avec lui ses ouvrages qu’il a rapporté de la Hongrie . »

Après cinq années, en octobre 1865, Portaels repart pour la Hongrie, cette fois avec l’Histoire de Hongrie pour bagage. Durand ce nouveau périple, il s’est intéressé davantage aux habitants et à leurs coutumes. Il écrit rapidement ces quelques mots dans un carnet «  Les paysans sous leurs grands manteaux, ont fière allure. ... Que dire des bohémiens... Race étrange et bizare [sic] mais superbe sous ses haillons, et les Juives de Pesth .  »

De retour à Pest, il écrit au couple Navez, « cette ville devient vraiment fort belle et a gagné beaucoup depuis mon dernier voyage . ». Après son passage à Szégédin, où les rues ne présentent « qu’un véritable cloaque », il profite de ballades dans la campagne pour aller à la rencontre de la vie rurale locale. «  Les paysans sont superbes. Comme ils sont bâtis, on les dit bien à leur aise. Puis de beaux bestiaux, des bœufs à rivaliser avec ceux de Rome.  » Portaels est surtout fasciné par les campements de bohémiens, « On passerait des journées à regarder ces étranges créatures, vivant à l’état nomade (...). Ils sont gais, ont de l’esprit, très sobres, ils vivent de peu. Ils ont les allures des arabes [sic] . », et il ajoute dans sa lettre à son ami le comte de Villermont «  J’ai la marotte des Bohémiennes que j’ai pu voire [sic] de près et les étudier dans leur [sic] campements. Ce sont de véritables nomades, voleuses, sales et splendides. Il y a là un côté mystérieux qui vous arrête et vous donne à réfléchir .  ».

Le tableau, non daté, présente le portrait idéalisé d’une jeune femme hongroise, laquelle dégage un charme distingué et une certaine grâce. Les mains croisées, elle se tient debout, vue de trois quarts et regarde le spectateur avec un léger sourire de bienveillance. Derrière elle s’étend un vaste paysage plat qui s’évanouit à l’horizon dans une bande de ciel bleu, si caractéristique de la Grande Plaine hongroise qui a tant frappé Portaels. Il évoque dans une lettre ces « plaines arides plâtes [sic] comme si un rouleau y avait passé d’un bout de l’horizon à l’autre ».

Le modèle ne porte pas un costume traditionnel typique d’une région donnée de Hongrie , mais bien un ensemble de pièces vestimentaires que l’artiste s’est plu à combiner et à harmoniser, à partir de divers dessins croqués sur le vif durant ses voyages, comme à son habitude . La jeune femme est vêtue d’une chemise de lin blanc à manches larges garnies de riches broderies florales aux fils dorés, fermée en ras de cou par un liseré brodé, sur lequel est posé un collier de deux rangs de piastres d’argent. Elle porte également, un long gilet en peau de mouton brodé avec un motif à zigzag noir et doré en bordure, et un corsage coloré aux motifs floraux vert et jaune, sur une longue jupe rouge. En coiffe, un foulard de satin garni de rayures dorées qui est noué autour de ses cheveux tressés entremêlés de rubans, de pendeloques et de piastres.

Portaels aime à représenter dans ses tableaux un type raffiné et élégant de beauté féminine qu’il a rencontré en Orient, comme en Hongrie, et que son biographe Edmond-Louis de Taye a si bien nommé « fantaisies féminines  ». Pour cette raison nous titrons ce magnifique portrait de jeune femme : « Fantaisie Hongroise » et datons l’œuvre vers 1865.

Antoinette De Laet
Alain Jacobs

Cette œuvre sera intégrée dans le catalogue raisonné de l’artiste en préparation par les auteurs de la rédaction de cette notice.

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