Reynaud LEVIEUX (Nîmes 1613 – Rome 1699)

« La Vierge et l’Enfant avec Saint Jean-Baptiste dans la campagne romaine »

Huile sur toile sur son châssis d’origine

L’art de Reynaud Levieux, d’un réel raffinement dans la facture soignée et les gammes de couleurs sobres, a été récemment remis à l’honneur. Ce « Poussin provençal », qui passa à Rome une longue partie de sa carrière, retrouve désormais sa place parmi les grands maîtres de la peinture du XVIIe siècle. Originaire d’une famille protestante de la région de Nîmes, Reynaud Levieux fit ses premières armes dans l’atelier de maître-verrier de son père. Le séjour du peintre à Rome, à partir de 1635, fut décisif dans la formation de son style. Il y travailla notamment, avec un groupe d’artistes français sous la direction de Nicolas Poussin, à la copie des œuvres majeures des collections romaines. On perçoit dans la peinture de Levieux l’influence de Poussin, autant que le classicisme raffiné de Raphaël. Résidant via Margutta, peut-être emprunta-t-il aux peintures du Caravage de l’église toute proche, Santa-Maria-del-Popolo, un certain mode d’éclairage chromatique.

Notre œuvre date probablement de la période provençale de l’artiste, peu après son retour d’Italie. Il s’installa à Nîmes puis à Montpellier, avant de rejoindre en 1649 – 1650 la seconde Rome qu’était Avignon, où sa carrière prit un nouvel essor. C’est ensuite à Aix qu’il connut son plus grand rayonnement : à la tête d’un atelier prospère, il fut aussi le peintre attitré de la Municipalité. Il peignit alors de nombreux tableaux pour les églises et les hôtels d’Aix et de la région alentour. Il intégra la confrérie des Pénitents Noirs, qui lui commanda un cycle consacré à Saint Jean Baptiste sur lequel il travaillera jusqu’en 1694.

Le retour en France de l’artiste est rapidement marqué par sa confrontation avec Nicolas Mignard, de neuf ans son aîné et déjà bien établi en Provence. Leur rivalité l’entraîne à travailler assidûment pour se perfectionner. Il adopte un art calme et dépouillé, loin de toute théâtralité, invitant au recueillement. Reynaud Levieux retourna à Rome en 1669, où il vécut probablement entouré de membres de sa famille, et y mourut à 86 ans. Ces trente années de travail sont peut-être les moins documentées d’une carrière longue, complexe, et encore en partie méconnue. On sait qu’il continua jusqu’à la fin de sa vie à envoyer des œuvres en Provence.
Avant son départ pour Rome, l’artiste avait légué ses biens aux Chartreux dont il était très proche. C’est auprès d’eux qu’il sera enterré en 1699, dans la basilique romaine de Sainte-Marie-des-Anges. Cet Ordre qui lui avait passé de nombreuses commandes devait apprécier l’intériorité des œuvres de ce célibataire solitaire, tout comme il estimait le travail de Philippe de Champaigne.

Dès le début de sa carrière, la Sainte Famille s’avère un thème cher à ce protestant converti au catholicisme sous l’influence des Pénitents Noirs. Ses recherches sur le motif de l’Enfant Jésus bénissant Saint Jean-Baptiste sont proches de celles que menait Poussin à la même époque. On retrouve ce sujet dans la Sainte Famille peinte pour la Chapelle de la Miséricorde à Montpellier, l’une des premières réalisations de Levieux à son retour en France. Dans notre tableau, la construction a évolué et se présente en frise : cette forme emblématique des compositions du maître apparaît dès 1651 dans la Sainte Famille de Villeneuve-lès-Avignon.

Une analyse plus attentive des détails de notre œuvre nous permet de retrouver certaines des caractéristiques du métier de Levieux – celles, par exemple, de la Sainte Famille de Manosque. Dans une mise en page serrée, le groupe animé de couleurs franches est appuyé sur un soubassement architectural, sur fond de paysage classique. La lumière attire le regard sur la Vierge et l’Enfant. Les physionomies sont typées : les membres des personnages, solides, son renforcés par de fortes attaches, leurs longs pieds bien mi en évidence. La douceur du visage de la Vierge rappelle ici la Madone de Lorette de Raphaël, que l’artiste avait copie lors de son premier séjour romain. L’influence des Carrache est soulignée par le traitement du paysage imaginaire de l campagne romaine aux accents naturalistes. Par ailleurs, l présence de Saint Joseph (en arrière-plan) guidant sa mule nous rappelle les personnages drapés à l’antique de Nicolas Poussin. Les traits de l’Enfant Jésus évoquent ceux de l belle Vierge au Chardonneret peinte par Levieux au cours de sa période aixoise, alors au sommet de son art.

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