Jacob VAN SCHUPPEN (Paris, 1769 – Vienne, 1751)

Portrait d’une famille - 1703

96 x 128,4 cm

1703. Huile sur toile.

Signé et daté en bas à droite Jacobus Van schuppen Pinxit 1703

Provenance
· France, collection particulière.

Fils de Pierre van Schuppen, graveur anversois installé en France et académicien depuis 1663, Jacob van Schuppen apprit les bases du métier dans l’atelier paternel qui devait logiquement lui revenir. À en croire Mariette, le père de l’artiste sentit rapidement son propre enseignement insuffisant et le plaça vers vingt ans chez son grand ami, Nicolas de Largillierre. Le jeune peintre y jouissait d’un traitement de faveur certain, au point qu’en parlant des élèves de l’illustre portraitiste, Dézallier d’Argenville précise que celui-ci « n’a cependant mis le pinceau à la main qu’au sieur Van Schuppen » . Largillierre fut le témoin de Jacob lors de son mariage avec Marie-Françoise Thierry en 1705. Selon Mariette, c’est auprès de son maître qu’il décida d’abandonner le burin « car la peinture paroissoit dans cette école avec tant d’éclat que quiconque y entroit ne pouvoit se refuser à se consacrer tout entier à elle » .

L’ambition de Van Schuppen était toutefois de s’établir comme peintre d’histoire et non comme portraitiste, ce qui le poussa à compléter sa formation chez l’anatomiste Alexandre Littre. Il se présenta à l’Académie en janvier 1704, fut agréé et reçu dès le 26 juillet suivant sur présentation de la Chasse de Méléagre. Le titre lui permit de montrer ses œuvres au Salon organisé la même année dans la Grande Galerie du Louvre. Il y exposa pas moins de douze tableaux embrassant tous les genres, depuis la peinture d’histoire (Nativité, La Mort d’Adonis) jusqu’à la nature morte (Sujet de raisins & de fruits, Grouppe de differens oiseaux tués), en passant par la scène de genre (Joueuse de guittare, Une femme lisant une lettre), la scène galante (Une fille sur une escarpolette) et les portraits (M. & Madame Vanscuppen, le père & la mere du Peintre, ainsi que Deux autres portraits d’hommes).

Van Schuppen prit sans doute part au Salon de 1706 qui ne dura qu’une journée et ne fut pas accompagné d’un livret. Quant au reste de sa carrière, elle fut brillante, mais très peu française. D’abord peintre ordinaire du duc Léopold de Lorraine à Lunéville de 1707 à 1719, il fut ensuite appelé à Vienne par le prince Eugène et devint peintre attitré de l’empereur en 1723. Son talent polyvalent en fit l’homme parfait pour restaurer puis diriger, pendant un quart de siècle, l’Académie Impériale de Peinture et de Sculpture.

Il semble qu’au Salon de 1704, le peintre privilégia le nombre à la taille des œuvres, afin de mieux montrer la variété de son art. Aussi, il n’y exposa que des tableaux de petit format, renonçant à présenter non seulement son morceau de réception, mais également les grands portraits de famille d’un goût autant flamand que français.

Jusqu’à la redécouverte de la toile que nous présentons, un seul de ces tableaux était connu, le Joueur de guitare avec sa famille, signé «  Jacques Vanschuppen pinxit  » mais non daté. L’évidente proximité avec notre peinture permet d’en placer la réalisation au tout début du XVIIIe siècle. Autant dire que le rapprochement avancé par Pierre Schreiden avec le Portrait de Louis XIV avec le Grand Dauphin, le Duc de Bourgogne, Louis XV et Mme de Ventadour (Londres, Wallace Collection) attribué à Largillierre s’avère anachronique, puisqu’il est postérieur de plus de dix ans aux œuvres de Van Schuppen. Il faut en revanche souligner une évidente communauté avec deux toiles certaines de Largillierre : Le Portrait de la Marquise de Noailles et ses enfants de 1698 et l’imposante Famille Stoppa de 1690 environ (250 x 350 cm, Château-Thierry, musée de l’Hôtel Dieu). Les deux artistes utilisent le même lexique : architecture d’un vestibule de pure convention avec son sol pavé, pilastres et colonnes, des drapés volumineux retenus par des cordons de soie, modèles assis exception faite de très jeunes enfants, mobilier précieux, éléments de nature morte, éventuellement une ouverture vers un extérieur paysagé. De même, leur palette chaude et chatoyante à dominante ocre est très semblable. Cependant, Van Schuppen, qui voyait sans doute dans ces commandes l’occasion de se démarquer de son maître, laisse y éclater sa propre manière, plus décorative, intimiste et dynamique.

À l’inverse de Largillierre, Van Schuppen organise ses mises en scène à la manière d’un théâtre où chacun aurait un rôle à jouer. Proportionnellement plus petits que chez son maître, ce qui agrandit visuellement l’espace et confère à l’ensemble une sorte de solennité, ses modèles ne posent jamais de manière strictement frontale, mais s’animent, se penchent l’un vers l’autre, échangent des regards, jouent de la musique et même dansent. La composition de notre toile est ainsi tout en déséquilibre, malgré les verticales de l’architecture. Les personnages forment une diagonale légèrement montante, dans une succession de tonalités sobres : noir de l’habit et de la perruque de l’homme âgé, blanc du déshabillé de la dame, brun des vêtements de son époux, noir encore de la robe galonnée d’argent de la petite fille. Chaque teinte principale s’illumine par contact avec une couleur contrastante : le noir avec le vert du fauteuil et le violet de la cape, le blanc avec le cramoisi et le jaune paille du drapé, le brun avec le lie-de-vin de la culotte. Le tout est agrémenté de touches dorées qui courent depuis les pieds du tabouret et l’accotoir, à travers les souliers de la jeune femme et sa ceinture, et jusqu’au gilet de l’homme, le reflet sur son manteau et l’aigrette dans les cheveux de la fillette.

Avec une minutie très flamande, Van Schuppen parsème son œuvre de nombreux détails qui ont trait au bonheur familial, à la prospérité et à la fécondité, à l’instar du grand vase en porphyre, de la corbeille de fruits derrière la jeune femme ou d’un petit chien à ses pieds. De même, le rideau ocre se gonfle tel un dais au dessus du couple, confirmant la seule lecture possible de l’image comme représentant des époux, leur fille et le père de la femme. Quant aux instruments de musique et aux partitions posés au premier plan, il serait probablement prématuré, sans aucun autre élément allant en ce sens, de les interpréter comme indiquant la profession, sinon des deux hommes, au moins de l’époux. Et ce, même s’il est figuré jouant de la guitare à dix cordes avec aisance. En effet, le modèle du tableau de Liverpool est également représenté avec une guitare dans les mains pour accompagner la danse de sa fille. Considérant l’instrument comme un attribut, on avait suggéré, pour le tableau de Liverpool, le nom de Sir William Waldegrave (1636-1701), médecin du roi Jacques II et célèbre joueur de guitare et de luth, venu en France avec le monarque exilé en 1688. Or, non seulement l’homme semble bien trop jeune pour être Waldegrave, mais surtout la redécouverte de notre tableau amène à nuancer le caractère exceptionnel d’une telle représentation. La guitare s’avère en outre un objet suffisamment récurrent dans l’œuvre de Van Schuppen pour supposer qu’elle reflète les goûts et les choix artistiques du peintre plutôt que ceux de ses modèles. Les violons, le violoncelle et le tambourin indiqueraient alors ici l’amour du couple pour la musique et la danse, ainsi que le raffinement extrême de leurs loisirs.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Pierre SCHREIDEN, « Jacques van Schuppen (1690-1751) », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, vol. XXXV, Vienne, 1982, p. 1-107.
Pierre SCHREIDEN, Jacques Van Schuppen. 1670-1751. L’influence française à Vienne dans les arts plastiques au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, Bruxelles, 1983.
Gérard VOREAUX, Les Peintres lorrains du dix-huitième siècle, P aris, 1998.

Charger plus